Fuite... [PV: Sélia]

La Dame des Glaces galopait à bride abattue sur un destrier harassé qui n'avait de fier plus que le titre. En effet, elle l'avait dérobé à un dresseur de chevaux destinés à la noblesse dont le nom du haras était " Les écuries du fier destrier".
A présent, l'étalon gris pommelé qui avait paru si fringant aux yeux de l'elfe lorsqu'elle s'était dissimulée entre deux ballots de paille était épuisé, galopant la tête basse et le souffle rauque, difficile à trouver, son port de queue altier et fier de tout à l'heure pendant tristement, balayant le sol, sa crinière soyeuse, garnie et ondulée à présent plate et filasse. Ah ça oui, elle avait perdu de son charme, de sa superbe, la fière monture...

Mais l'heure n'était pas aux sentiments pour la Dame. Elle refusait d'entendre la respiration haletante et abominable de sa monture, elle refusait de se rendre compte que ses foulées devenaient hasardeuses et trébuchantes, que le cheval ralentissait...Elle ne voulait pas l'entendre souffrir. Fermant son coeur à tout sentiment, elle éperonna les flancs palpitants de sa monture qui ne réagit pas. Un coup de talon plus ferme le fit reprendre son allure.

C'était une fuite. Ce n'était pas le moment de faiblir. On ne ralentit pas pendant une fuite, sinon, vos ennemis, vos sentiments, ou ce que vous tentez de semer vous rattrappe à coup sûr. Cela faisait quatre jours que la Dame des Glaces s'était enfuie du Temple, avec l'aide de son amant qui avait perdu la vie dans la bataille. Elle verrouilla son esprit à toute pensée néfaste. Quatre jours de fuites, de courses, de cachettes, de bonds, de pas à pas, de peur tapie au fond du ventre...Pas question de se laisser faiblir maintenant ! Devant elle s'élevaient les murailles de Jiade, la capitale de l'Empire. Là-bas, elle serait provisoirement en sécurité...Provisoirement. Cette perspective la frappa comme un coup de tonnerre, et elle dû s'aggripper à la crinière de sa monture haletante pour ne pas être désarçonnée. Elle allait devoir vivre comme une fugitive pour le restant de ses très longs jours elfiques !

Elle talonna encore un peu son cheval qui fit un brusque écart, comme pour se rebeller et la faire tomber. Elle avait encore suffisament de force pour ne pas chuter, et elle se maintint de justesse sur le dos non sellé de sa monture. Elle n'avait pas eu le temps de dénicher une selle et un filet au cheval. Lorsqu'elle s'était subrepticement approchée de l'écurie du marchand, et qu'elle avait vu cet étalon affublé d'un licol blanc et d'une longe, paradant sur la dalle de pierre, sous les commentaires exacerbés du gros homme maniéré à ces clients, elle n'avait pas hésité. Planquée entre deux bottes de foin, elle avait attendu que le vieux coq emmène ses pintadeaux visiter l'intérieur des écuries, puis avait bondit. Le cheval ne s'était pas rebéllé. Elle avait simplement noué la longe autour de son cou, en un semblant de rênes. Quand le marchand était ressorti, il eu un haut-le-coeur en voyant que sa mascotte équine n'était plus là. A l'horizon détalait à toute vitesse un nuage de poussière surmonté d'une haute forme.

Le commerçant allait sûrement porter plainte, déclencher des recherches, publier des avis...Tout comme, si la chance ne lui souriait vraiment pas, les marchands ambulants à qui elle avait chapardé de quoi subsister quelques temps. C'est à dire, trois pommes et le quart d'une miche de pain. C'était peu pour supporter quatre jours haletants de course effrénée. Mais ces marchands ambulants étaient si susceptibles...

Le cheval refusait maintenant d'accélérer, et la Dame abandonna la partie. Elle se contentait d'une pression de mollets pour le rappeler à l'ordre lorsque son allure faiblissait vraiment. Ainsi, ils gagnèrent les portes de Jiade. Une fois arrivés à la muraille constituée des maisons de pierres des plus riches avant la famille royale, elle descendit de cheval et abandonna sa monture devant une terrasse où trônait une immense vasque remplie d'une eau claire. Laissant le pauvre cheval boire tout son soûl, elle dénoua le licol, le déposa dans un coin derrière une grosse jarre de terre cuite, puis s'éloigna, refusant de succomber à la soif et à la fatigue. Pas tant qu'elle ne serai pas avec un toit au-dessus de la tête. Elle se dirigea vers une taverne...

Ca fesait pratiquement deux mois que Sélia stagnait au même endroit. L'auberge dans laquelle elle se trouvait lui donnait tout le confort dont elle avait besoin, et elle hésitait à la quitter. Le patron de L'Etalon d'Or et elle s'étaient arrangés, il quelques semaines pour un deal favorable aux deux.
Kamilou devait aider au service, laver, servir, éplucher, couper, faire la cuisine en général, la vaisselle etc pendant la matinée, et en échange, elle passait ses nuits dans la grange et mangeait presque gratuitement. Elle avait même fait la connaissance de Katie, une des serveuses qui avait plaidé auprès d'elle au patron.
Une situation qui ne lui convenait malheureusement qu'à moitié. Sa liberté était entravée. Elle qui voulait découvrir le monde, agrandir son savoir, elle se voyait obligée de rester toujours dans le même endroit.

Pour l'instant, Sélia essayait de se clarifier les idées, allongée dans la poaille. Mission impossible. Dans la grange, les bruits de l'exterieur étaient pratiquement amplifiés et aujourd'hui, c'était le jour du marché. Autrement dit, le jour où la moitié du pays venait trouver le bonheur sur un minuscule objet.
La jeune fille enleva la tige de blé de sa bouche, se leva et épousseta ses vêtements. Habillée d'une paire de bottes souple et d'une robe ordinaire en toile fendue sur les côtés, elle préservait la simplicité et l'élasticité. Histoire de ne pas finire en steack haché humain à cause d'une jupe trop serrée. Oui, même dans cette auberge on trouvait des criminels.

Sélia sortit et emplit ses poumons d'air pur. Autours d'elle, une agitation folle régnait. Partout, des enfants, des elfes, des fées... Tous en train de crier à qui le voulait, d'essayer de marchander, de vendre... de voler. Le but du jeu était de trouver un marchand particulièrement bête pour l'escroquier.

La jeune fille se fraya un pasage dans la foule et déboucha dans une ruelle un peu plus vide. Parfait. Continuant son chemin, elle se dirigea vers une placette où il n'y avait jamais personne. Apparamant pas ce jour-là. Un étalon gris pomelé buvait dans une fontaine comme s'il revenait du Sahara et une elfe imposante et resplandissante se dirigeait à grand pas vers une allée. Elle paraissait soucieuse et Sélia pouvait voir à ses rides qu'elle était singulièrement fatiguée.

Pas le moins du monde intimidfée par sa taille, Sélia rattrapa l'inconnue et s'arrêta devant elle.

-Excusez-moi, vous avez besoin d'aide?

La Dame des Glaces se retourna lentement vers celle qui l'avait interpellé. Effrontée, la petite, pour oser se planter ainsi devant celle qui fut Prêtresse des Glaces, Prêtresse de la Déesse-mère, Prêtresse du Temple, Vierge de l'Hiver...Bien des titres qui n'avaient plus aucune importance à présent. Elle balaya cette pensée. Elle était dans " le monde réel ", elle n'avait plus d'entraves, elle pouvait s'offrir à la divinité de son choix, elle pouvait parler librement...

Elle retint un éclat de rire sans joie...De l'aide ? Si seulement elle savait... A part une bonne nuit de sommeil et un plat de viandes et de légumes chauds, rien ne pouvait l'aider...Enfin, elle devinait que si ses poursuivants, c'est à dire une bonne moitié du corps militaire du Temple et une brassée de jeunes gens fermement décidés à avoir sa peau, étaient parvenus à la suivre, ils ne tarderaient pas à arriver à la ville. Si dans deux ou trois jours ils ne s'étaient pas montrés , alors la Dame des Glaces aurait un espoir qu'ils avaient abandonné la poursuite...

Lorsqu'elle ouvrit la bouche, elle fut surprise de s'entendre parler de sa voix grave et bien timbrée, habituelle. Sa langue, son palais étaient tellement désséchés par le manque d'eau et transis par le froid qu'elle s'attendait à être devenue muette.

- Ca va, merci. J'aimerai simplement savoir où je pourrai trouver une auberge pour y manger et y passer la nuit.

Simple et direct, comme toujours...Ne pas s'embarrasser de questions et de paroles superflues lorsque l'on n'en a pas besoin...

*...et que l'on est en danger ! Dépêche-toi donc de te mettre à couvert, si tu restes plantée ici dans cette ruelle glauque, ça ne peut paraître que louche, surtout pour une étrangère...*

Obéissant à sa conscience, la Dame feignit d'entraîner sa compagne au bout de l'allée sombre, comme lorsqu'on veut que quelqu'un nous guide. Elle profita que la fille regarde ailleurs pour vérifier furtivement le contenu de son sac de toile grise et douce...Tout ce qu'il contenait, et tout ce qu'elle portait sur elle, c'était feu son amant qui le lui avait remis quand il l'avait délivrée, complètemnt nue et hagarde, de son poteau qui aurait pu être son cercueil...

Donc, le sac contenait une bourse de cent pièces d'or, une gourde qui s'était percée lors de l'une de ses nombreuses chutes pour échapper à la vue de ses poursuivants, écrasant du même coup le pain garni que son amant lui avait préparé au prélable, si quelque chose devait mal marcher et qu'elle soit privée de lui et de ses talents de chasseur...Elle retint un hoquet de surprise et de douleur lorsque son doigt rencontra la pointe de l'épée courte rangée sagement dans la besace, un autre présent de l'homme qui avait ravi son coeur.

Elle sortit son regard de la sacoche pleine de souvenirs et suivit la fille dans la ruelle...

Dans la tête de Sélia, un désordre infini régnait. Son patron lui avait fixé un rendez-vous que la malheureuse venait de se rappeler, elle ne savait si elle devait partir ou non, et de plus, la nouvelle venue l'intriguait.
Son regard, surtout. Un regard qui lui disait quelquechose. Dommage, impossible de mettre le doigt dessus avec le capharnäum qui occupait l'interieur de son crâne.

Sélia, plongée dans ses pensées, mit quelques secondes à remarquer que l'elfe lui répondait. Une auberge? Magnifique! En remenant une cliente, Sélia se ferait surement pardonnée de son retard. Absolument pas gênée par ces pensées peu courtoises, la jeune fille toisa son interlocutrice.
Et toujours en retombant sur ses yeux... On pouvait y lire de l'inquiétude, de la fatigue, et de l'impatience. Et toujours ce petit quelquechose que Sélia n'arrivait pas à identifier...

-Vous tombez sur la bonne personne! Je "travaille" dans une auberge!

A peine avait-elle finit sa phrase que la géante la prit par le bras et l'entraîna dans les ruelles. Sélia reconnus la lueur à cet instant. Fuite. L'elfe était en fuite. Son inquiétude le prouvait et maintenant, la jeune fille ne pouvait plus se tromper. Pourquoi? Tout simplement parcequ'elle connaissait ce regard : Plusieur fois dans son propre miroir.

Sélia prit l'elfe par la main et grâce à l'imposance de cette dernière, elle put traverser la foule bien plus rapidement.
Rentrer dans l'auberge se révela être impossible vu le nombre de gens aglutinés à la porte, attirés par l'odeur.
Au moment où elle s'apprêtait à renoncer pour passer par derrière, le patron sortit et fit reculer la queue. En la reconnaissant, ses sourcils se fronçèrent.

-Sélia! Aboya-t-il, Tu es en retard!
-Excusez moi, je me suis oubliée... Je vous rammène une cliente!

Le patron grogna et la fit passer, tirant des crise chez ceux qui attendaient devant l'entrée. Une fois passée, la jeune fille conduisit son hôte à une table et parla.

-Alors? Qui te poursuis? Comment t'appelles-tu? Moi c'est Sélia.

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